"L'ENTRAÎNEMENT MENTAL", DE QUOI S'AGIT-IL ?
Elaboré
de manière pragmatique à l'Ecole d'Uriage (40-42) puis
diffusé par équipes volantes au travers du massif du
Vercors dès que les forces vives d'Uriage basculèrent
dans la Résistance (novembre 1942), l'ENTRAÎNEMENT
MENTAL s'est élargi, dès 1945, explicitement comme tel,
dans le champ de "l'éducation populaire", principalement
comme "formation intellectuelle pratique" des cadres
militants de la vie associative, coopérative et
syndicale.
Joffre Dumazedier en est le créateur. Né en 1915 alors
que la boucherie de la première guerre battait son
plein, il vécut le Front populaire (1936) comme moment
décisif de son parcours. Son origine sociale, la misère
culturelle dans laquelle étaient maintenus les
travailleurs et l'intuition d'une disponibilité de temps
nouvelle, jamais imaginée jusqu'alors - les congés
payés, les loisirs, la réorganisation du travail - l'ont
rendu particulièrement sensible à la nécessité d'une
éducation de tous, avec tous, tout au long de la vie.
Condorcet, par son rapport de 1792, avait ouvert la
voie. Il en appelait à une éducation accompagnant la vie
et capable de promouvoir "un art de s'instruire
soi-même". Joffre Dumazedier, peut-être plus que
d'autres, a fait sienne cette ambition. C'est ainsi
qu'il élabora progressivement, de 1936 à 1945, la
démarche d'éducation permanente et de formation générale
nommée par lui en 1942 : ENTRAÎNEMENT MENTAL.
Commence alors une aventure qui n'a jamais été un long
fleuve tranquille...
Discipline non académique née du "mouvement social" et
non de l'école, de l'université ou de l'entreprise, l'EM
n'a été véritablement porté par aucun effet de mode.
Ainsi, dans sa relative marginalité de contribution
originale à "l'éducation populaire", il a été souvent
malmené, sans que grand monde hors de ce secteur
d'activités s'en émeuve. Il a été successivement loué,
moqué, reformulé, dogmatisé, pédagogisé, saucissonné en
modules, réactualisé, détourné, pillé, informatisé,
refondé enfin, au rythme des crises et des changements
qui ont marqué notre société depuis 1945.
Parfois même, dans ces milieux relativement étroits où
il faisait référence, l'EM a constitué un véritable
enjeu de pouvoir, lorsque s'affrontaient des
sensibilités différentes en rivalité pour le contrôle
idéologique des appareils. Normal, puisque son
instrumentalisation dans tel ou tel sens pouvait
contribuer à orienter la formation des cadres militants
ou responsables des organisations.
Mûri
par l'expérience du temps, de l'engagement et des
multiples variantes auxquelles il a donné lieu, l'EM
s'affirme, aujourd'hui, d'une étonnante actualité. Dans
l'exacte mesure où il s'est enfin ouvert aux apports des
sciences de l'homme, de la philosophie et des avancées
de la psychanalyse héritée de Freud.
Mais aussi parce qu'il a été confronté à
l'interpellation d'essayistes assez différents mais
partageant la même alerte : l'urgence d'une réforme de
la pensée à la hauteur des défis culturels, éducatifs et
sociaux à relever dans une société bien plus minée de
nihilisme que "sans repères", comme on le claironne sur
tous les tons de l'analphabétisier... Henri Lefebvre
(Qu'est-ce que penser ?), Pierre Legendre (L'amour du
censeur), Alain Finkielkraut (La défaite de la pensée),
Cornélius Castoriadis (La montée de l'insignifiance),
Edgar Morin (Penser le contexte et le complexe),
Dany-Robert Dufour (L'art de réduire les têtes), Bernard
Stiegler (De la misère symbolique), Bernard Sichère
(Penser est une fête), Slavoj Zizek (Bienvenue dans le
désert du réel) ou encore Jacques-Alain Miller et
Jean-Claude Milner (Voulez-vous être évalué ? -
Entretiens sur une machine d'imposture).
L'inquiétude de ces auteurs semble encore aujourd'hui
bien étrangère à la plupart des responsables
pédagogiques, plus préoccupés de formation - scolaire et
professionnelle - qu'occupés à se battre pour la
reconnaissance du droit à l'éducation permanente qui ne
serait pas du semblant. Dans nos pays, la formation
semble l'emporter lourdement sur l'éducation, sauf pour
les animaux de compagnie, à qui revient maintenant le
privilège de l'éducation. Voyez par exemple le
développement rapide des centres "d'éducation canine" et
les appels répétés des édiles à "l'éducation du
caniveau", alors que l'on s'inquiète beaucoup de
l'incivilité des citoyens "mal élevés"... Elevage pour
les uns, éducation pour les autres ou l'inverse ?
L'ENTRAÎNEMENT MENTAL est donc à saisir, aujourd'hui,
comme exercice exigeant de la pensée permettant à ceux
qui ne confondent pas trop "réfléchir" et "penser" :
-
d'élaborer leur expérience par l'élucidation critique
de leur "vécu" quotidien,
-
de s'orienter efficacement dans la masse documentaire
toujours croissante,
-
de pratiquer l'observation, l'écoute et la lecture
actives,
-
d'éclairer assez l'envers du décor pour en bien
déchiffrer l'endroit,
-
de réassurer leur créativité dans l'action
individuelle et collective,
- de
développer les capacités d'expression écrite et orale,
- de
distinguer l'ordre des besoins et celui du désir,
- d'approcher
la forme comme fond s'offrant à la perception,
-
de réaliser à quel point la démarche d'abstraction est
concrète,
-
de comprendre que la "responsabilité" consiste à
"répondre de" nos actes et propositions, non de
"répondre à" l'injonction morale, à l'obligation
groupale, aux ordres des appareils ; une manière de
"responsabilité répondante" (George Steiner).
L'EM encourage, par des expériences et des exercices
appropriés une dynamique de pensée mettant la "pratique"
et la "théorie" en tension active d'interrogation
réciproque. Ainsi, y est limité le risque de la
réflexion habituellement binaire qui finit souvent par
privilégier, face à la complexité, soit le repli
défensif sur la pratique (l'activisme), soit la fuite en
avant dans la théorie (l'intellectualisme).
L'exclamation
de Goya est ici prise au sérieux : « El sueño de la
razón produce monstruos ! », à entendre dans tous les
sens de la formule, car "sueño" signifie autant le rêve,
l'illusion, que le sommeil, de la raison.
"ENTRAÎNEMENT
MENTAL" ET TRADITION ORALE.
Soixante
ans d'expériences les plus diverses et pourtant, une
aventure qui participe de la "tradition orale" sur le
mode d'une transmission orale continue que n'épuisent ni
l'évolution de nos sociétés, ni le développement des
technologies de communication, ni l'effacement
remarquable des mouvements d'éducation populaire. L'EM a
toujours été porté par la parole d'hommes et de femmes
confrontés à des situations de vie, de travail et
d'organisation dont ils ne pouvaient se satisfaire.
Bien
que souvent d'origines différentes, ils s'appréciaient
et se parlaient en tant qu'ils se reconnaissaient plus
portés par leurs aspirations et engagements que par leur
inscription dans un quelconque programme ou projet,
rationalisé noir sur blanc, c'est-à-dire par écrit,
comme nous ont appris à le faire l'entreprise,
l'administration, le parti, l'école, l'armée,
l'université.
L'EM
ne s'est jamais laissé facilement circonscrire par
l'écriture, surtout lorsque celle-ci prétend servir le
bien et le confort de celui à qui elle est censée
s'adresser. L'EM s'est transmis d'abord à l'occasion de
la rencontre de personnes, par imprégnation, par entrée
en résonance, par compagnonnage, par silences partagés.
Il n'existe pas de textes qui fixeraient une fois pour
toutes les propositions et les référentiels sur lesquels
se bouclerait un EM enfin orthodoxe. Donc pas de mise en
formules pouvant faire dogme.
«La
tradition orale, c'est l'anticatéchisme, car, dans la
tradition orale, l'écrit est un piège, lequel se
referme sur ceux qui souhaitent, ou du moins croient
le prendre au pied de la lettre. Car la lettre de
l'écrit n'est évidemment pas ce qu'on peut en penser
lorsqu'on croit qu'il suffit d'être humain pour être
expert en sciences humaines.» Lucien Israël
LE
TRIANGLE DE "L'ENTRAÎNEMENT MENTAL".
Marqué
par son origine - la Résistance - l'EM invite à une
triple vigilance sans laquelle penser ce que nous vivons
et vivre ce que nous pensons devient rapidement un rêve
impossible, une perspective impensable, une ambition
méprisée par ceux qui s'autoproclament hommes et femmes
"de terrain", réalistes, responsables, concrets, proches
des vraies gens et des vrais besoins...
Ces
réalistes semblent n'avoir pas imaginé un seul instant
que le fameux concret qu'ils sacralisent tant inhibe
toute créativité et toute volonté d'agir, exactement là
où la faculté de "résistance culturelle" et les
ressources intellectuelles de leurs protégés devraient
être maximalisées. Ils argumentent en avançant le
concept de "concret", sans jamais s'être arrêtés sur ces
notions de concret et de concept ! Leur concret bien à
eux : cet "abstrait dégradé" dont ils se gavent
volontiers. Ils n'ignorent pas, ils méconnaissent. Ils
œuvrent pour une égalité par nivellement vers le bas, le
plus tôt possible, longtemps avant que les citoyens
n'empruntent la "rue de l'Egalité" qui mène souvent au
cimetière de nos villes et villages.
1.
Vigilance logique
Mon
raisonnement respecte-t-il les règles basiques de la
"logique" qui m'évitent notamment de tout confondre :
fait, problème, analyse ; besoins, désir, demande ;
possible, probable, souhaitable ; information,
description, théorisation ; morale, déontologie, éthique
; paradoxe, opposition, contradiction ; élucidation et
argumentation ; indépendance et liberté ; description et
définition ; buts, objectifs, finalité ; réel et réalité
; tactique et stratégie ; errance, erreur, faute ;
éducation, instruction, formation ; obstacle,
difficulté, problème... ? Etc.
Les buts que je vise et les objectifs que je m'assigne
servent-ils bien la finalité qui singularise mon projet
d'action ? Y a-t-il cohérence entre les termes, les
notions, les concepts que j'utilise dans mes études de
situations ou de pratiques ? Quels sont les
référentiels théoriques que je sollicite ce
faisant ? En d'autres termes, puis-je identifier
les théories dont j'emprunte les concepts pour exprimer
mes propositions ? Ces théories auxquelles j'ai
recours sont-elles compatibles entre elles ?
Les
différents moments de mon raisonnement s'articulent-ils
entre eux sur le mode d'un ensemble cohérent ? Dans
les méthodes de raisonnement à partir desquelles je
procède, quelles sont les opérations mentales basiques
que je pratique (énumérer, décrire, comparer,
distinguer, classer, définir, puis situer dans le temps,
situer dans l'espace, etc.) ? Quels sont les
opérations que j'écarte ou que j'oublie ? En quoi
consistent les principes de base dits "d'identité, de
non-contradiction et de tiers exclu" qui déterminent les
conditions formelles de tout raisonnement logique valide
? Etc.
2.
Vigilance dialectique
Dans
l'étude des situations concrètes telles que je
l'entreprends, est-ce que je tiens compte de la
complexité, de l'hétérogénéité et surtout du caractère
radicalement contradictoire de l'agir humain, tant dans
l'action individuelle que collective ? N'ai-je pas
tendance à penser ces situations trop comme "état" et
pas assez comme "processus" ? Suis-je porté à préférer
le raisonnement binaire disjonctif - ou ceci, ou
cela... - à la pensée ternaire associative - et
ceci et cela... - toujours curieuse du "tiers
exclu" dont la prise en compte libère des schémas
mentaux habituels ? Quelle place fais-je au contexte et
à la genèse des situations ou phénomènes que je tente
d'élucider ?
Ai-je
un regard moralement négatif sur les contradictions du
sujet, du citoyen, du travailleur ? En quoi ce regard
négatif sur les contradictions de l'autre m'interdit-il
de penser "positivement" ses contradictions et de
comprendre ce "négatif" qui le ronge, au plus profond de
sa vie et de ses actes ? Quelle différence faire entre
écart, différence, opposition, contrariété, paradoxe et
contradiction ? Qu'est-ce qui fait la différence entre
une contradiction "dialectique" et une autre qui ne
l'est pas ? Comment, par exemple, penser l'affirmation
et la négation, l'autonomie et l'hétéronomie, l'amour et
la haine, l'idéalisme moral et le cynisme politique en
tant que radicalement liés ?
Et
s'il n'y avait de "problèmes" que de "contradictions",
dialectiques, en tant qu'elles déchirent les hommes, les
groupes, les sociétés que tout pulse dans la vie tout en
les retenant de vivre ?
«
L'origine ne désigne pas le devenir de ce qui est né,
mais bien ce qui est en train de naître dans le
devenir et le déclin. L'origine est un tourbillon dans
le fleuve du devenir. » Walter Benjamin
3. Vigilance éthique
Est-ce
que je m'autorise à cette liberté de pensée, à cette
liberté de conscience nécessaires au questionnement de
la morale, de la déontologie, du sens du devoir tels
qu'habituellement prescrits, comme allant de soi, dans
mon milieu d'origine, d'appartenance ou de travail ?
Pourquoi la question morale très sérieuse du "Que
dois-je faire ?" (... pour être à hauteur d'idéal)
doit-elle sans cesse prévaloir sur cette autre question,
éminemment éthique et bien plus humaine : "Qu'est-il bon
de faire ?" (... pour n'en point trop rajouter en
matière de truanderie et de perversité) ?
Quelle
place faisons-nous à cette part tranchante de notre
héritage philosophique qui inaugure l'éthique, non comme
ensemble des principes assurant le socle de la morale
mais comme questionnement sans feinte (héritage grec) et
sans fin (héritage juif) des valeurs morales, toujours
présentées par la collectivité de vie ou d'origine comme
inquestionnables ?
Là
où la morale prescrit et proscrit en général sans
discussion, l'éthique, par le travail de la pensée et
par le débat auquel elle invite, questionne et
propose... La différence est de taille. Lorsque cette
différence est acceptée, elle permet d'entrevoir de
manière plus précise la relation entre éthique et
morale, donc de mieux définir la "responsabilité" du
milieu, distinctement de la mienne propre dans ce même
milieu, ou d'en choisir un autre, si cela me permet
"d'être le moins salaud possible".
Les
exemples historiques montrent à l'évidence que la
moralisation profonde et ancienne de notre société n'a
pas pu empêcher Auschwitz. Pire, elle semble y avoir
contribué efficacement. Les nazis et leurs
collaborateurs maffieux ont toujours cultivé ce sens
aigu du devoir caractérisant leurs milieux, même
lorsqu'il leur arrivait, parfois, fatigués par la tâche,
de s'en écœurer individuellement. Dangereusement
moralisés, ils se rappelaient collectivement à leur
devoir et retournaient à leurs chantiers industriels
pour y assurer rationnellement, en bons professionnels,
leur fonction d'experts en équarrissage humain.
Rappelons
que l'Etat nazi a été le premier Etat du monde à
légiférer en matière de protection de la nature et des
animaux, sans oublier ses efforts pour mettre en place
les premières interdictions de fumer dans les lieux
public... Création d'emplois, protection de la nature,
affirmation identitaire, solidarité nationale,
propagande scientifique, appel au sens du devoir, tout
cela, lorsque l'éthique de la limite est piétinée, mène
à la barbarie, sans coup férir. Avec ou sans élections
démocratiques. Fin stratège, Hitler, quant à lui, avait
choisi la voie démocratique des élections, dans le
respect des institutions de son pays...
« Dans le monde réel, les hommes armés existent, ils
construisent Auschwitz et les honnêtes et les désarmés
aplanissent leur voie ; c'est pourquoi chaque
Allemand, plus, chaque homme doit répondre d'Auschwitz
et qu'après Auschwitz il n'est plus permis d'être sans
arme. »
Primo Levi - Le système périodique - Albin Michel -
1988.
COMMENT
SITUER "L'ENTRAÎNEMENT MENTAL" AUJOURD'HUI ?
Vous
l'aurez compris, l'EM présenté ici n'est pas à confondre
avec "la préparation mentale" des sportifs dits de haut
niveau, la "gestion mentale" des pédagogues, le "mental
training" des thérapeutes anglo-saxons, le "coaching
mental" des cadres d'entreprise, la "navigation mentale"
des agités du multimédia, encore moins avec le "yoga
mental" des amateurs d'exotisme spirituel.
Il
est à entendre comme exercice progressif des facultés
favorables à l'examen critique de l'expérience, de la
parole qui tente d'en rendre compte et de l'ambition de
faire œuvre par l'action responsable. Dans la
construction du triangle FAITS-IDEES-ACTES, l'EM ne
réduit donc pas le travail de la pensée au seul calcul
d'adaptation à l'existant, où tous devraient rivaliser
de performance, de qualification ou d'excellence. Pas
plus qu'il n'encourage l'activisme et son contraire :
l'intellectualisme.
L'EM
prolonge ainsi l'une des traditions les plus riches de
"l'éducation populaire". Lorsqu'il est placé sous le
signe de l'utopie républicaine, l'EM permet de penser
cette "éducation populaire" comme une utopie seconde,
dérivée de la première. Les porteurs de l'EM un rien
informés de la fonction de l'Etoile Polaire savent
aussi, l'histoire aidant, que la démarche éclairée par
l'utopie n'évite le désastre que lorsqu'elle s'interdit
de prendre l'utopie comme programme à réaliser.
L'EM
se déploie volontiers à prudente distance des sciences
et techniques réduisant le "sujet" à ses comportements
et processus cognitifs, en général dans une perspective
de "gestion des ressources humaines" et de "management
des organisations" assurant un encadrement social
toujours plus serré. A saine distance aussi de ces
lieux, discours et dispositifs où il est interdit de
penser l'homme dans sa totalité : à la fois sujet,
citoyen, travailleur...
Enfin,
dans sa forme la plus avancée, il tourne le dos au
réductionnisme de ceux qui, ici ou là, dans le champ
éducatif, persistent à le rabattre toujours sur sa seule
dimension "entraînement au raisonnement logique" ou à le
définir comme "méthode de résolution des problèmes",
"méthode pédagogique", "méthode socio-pédagogique",
"méthode de développement cognitif", "méthode
d'apprentissage pour une autoformation basée sur la
psycho-sociologie de la vie quotidienne" proposée à la
Faculté d'économie et de droit de Paris, voire comme
délirant "mode de travail pédagogique de type
transmissif à orientation normative, modèle MTP 1" tel
qu'enseigné à l'Université de Liège !
Une
fois encore, la réalité dépasse la fiction.
Cette
manière de réduire le triangle de l'EM à une seule de
ses dimensions ou représentations tout en le confinant
au domaine de la pédagogie, fait signe d'un rapport
particulièrement ressentimental de nombreux éducateurs
ou formateurs au travail intellectuel qu'implique "le
penser contre" menant au "gai savoir" de ceux « qui ne
cèdent pas sur leur désir » (Jacques Lacan).
L'anti-intellectualisme
des intellectuels déclassés est redoutable.
Au
diable donc, pour ceux qui ne pèsent guère que le poids
de leurs fonctions réglementaires, le triangle de l'EM,
avec ses dimensions éthique et dialectique menant à des
complications épistémologiques dont le bon peuple
n'aurait rien à faire. Circulez, il n'y a rien à savoir
! Les tenants de cet EM méthodiquement lissé comme une
marchandise onctueuse ne doivent heurter aucune
sensibilité, tout en flattant la demande utilitariste
faisant appel à leur expertise... Et n'oublions pas de
nous mettre à la hauteur des "bas-niveaux" comme cela a
été entendu il n'y a pas si longtemps encore à l'AFPA, à
Peuple et Culture, à la CEGOS, à l'Education
Nationale... Soyons simples, clairs, réalistes,
concrets. Soyons moraux surtout, et nous marcherons sur
les eaux, d'une société sans histoire, enfin réconciliée
avec elle-même. Ces intervenants et formateurs attentifs
aux vrais besoins des vraies gens ne manquent pas d'air,
ni de condescendance, ni de promotion assurée.
La
question utilitariste "A quoi ça sert alors l'EM ?" sera
laissée à ces gens pressés, toujours en demande
"d'outils" et d'efficacité à courte vue. Lui sera
préférée cette autre, "L'EM, qu'est-ce que ça donne ?",
celle qui inaugure une rencontre en laissant à
l'interlocuteur le temps et le droit de répondre comme
bon lui semble.
Ici,
l'ENTRAÎNEMENT MENTAL ne vaut qu'en tant qu'il s'inscrit
dans la perspective d'une réappropriation de notre
"pouvoir penser" en vue de dépasser l'existant. Non pas
pour penser à ceci ou à cela, c'est à dire "pour
réfléchir à", par exemple "à" la misère du monde,
mais pour penser le monde de la misère générée par ces
logiques d'exploitation, d'aliénation, de relégation,
individuelles et collectives qui, fortes de leur
institutionnalisation, s'entre-valident à l'infini.
Il
n'est pas plus question en EM d'encourager les modèles
conduisant à nous défausser sur les autres de notre
pouvoir penser, sous le prétexte d'être tantôt plus
nombreux à réfléchir ensemble et tantôt les moins
nombreux possible pour constituer des instances étroites
capables de traiter les questions trop importantes pour
que le citoyen sans grade s'en mêle... Si nous nous
choisissons des délégués techniques ou politiques, ils
ne sont que nos délégués. Ethiquement toujours
révocables. On comprend aisément pourquoi l'EM intégrant
le questionnement éthique de ce qui semble aller
moralement de soi intéresse si peu de monde parmi les
cadres et responsables des organisations.
« Il n'y a pas lieu de craindre ou d'espérer, mais
de chercher de nouvelles armes ». Gilles Deleuze.
L'EM
ENTRE "CRITIQUE NON CRITIQUANTE" ET "COGITO
INTERRUPTUS"...
La
"critique non critiquante" et le "cogito interruptus"
caractérisent assez bien l'époque. Pas étonnant que
pathos et cynisme s'accordent chaque jour davantage,
dans cette société dépressivement inquiète d'elle-même
et de la violence qui, de plus en plus, lui tient lieu
de lien social chaud, à défaut de tout autre, où il lui
faudrait abandonner un peu de cette non-pensée qui la
barbarise, pour y échapper beaucoup.
Parmi
les obstacles à la pratique joyeuse de l'EM qui est au
cœur de cette note, il y a d'abord l'obstacle de la
politesse, de cette politesse des trop bien élevés, où
tout doit être lisse, sans relief, sans problème
vraiment problématique, donc sans débat, encore moins
critique. Pas de relief, pas de vague, pas de "saillie",
qui ne serait d'ailleurs pas très correcte (voir
l'aspect sexuel de l'étymologie de "problème"). Aucune
place donc pour un EM aussi tannique que tonique.
Réfléchir plutôt que penser. Le silence plutôt que
l'impertinence. La complaisance plutôt que
l'intelligence. Toujours avec l'argument de la
tolérance, pour eux, les gentils, alors qu'ils ne se
privent pas de dénoncer comme odieux ou violents ceux
qui ont l'incorrection de s'élever avec énergie contre
leur manière de faire silence sur l'essentiel....
Cogito interruptus.
Ensuite
l'obstacle de la charité. Y compris en milieu laïque, où
les athées malgré eux - par naissance, fatigue,
distraction ou mimétisme - sont plus nombreux qu'on le
pense. Pas de critique donc. Qui aime bien protège
bien... Exit la pensée critique, "négative". Puisque
l'aide que nous désirons apporter aux autres témoigne de
la positivité de notre idéal de service et d'attention,
à ces autres, ces "exclus", pauvres, chômeurs et autres
intouchables, grâce à qui nous devenons à notre tour
intouchables, non questionnables, moralement sains
d'être sanctifiés par nos œuvres. Ainsi rien ne percera
de ce qui commence à se savoir : que le mal fascine
celui ou celle qui s'en émeut. Et lorsque le doute
survient, lorsque la foi vacille, lorsque l'espoir
décline parce que le moment de la jouissance est passé,
s'interdire de penser, refuser d'entendre l'autre et
porter le regard ailleurs comme si rien ne s'était joué,
est la seule manière - tout imaginaire - de s'en sortir,
de ne pas verser dans la désespérance et la déprime qui
lui donne corps.
Cogito interruptus.
Puis cet autre obstacle encore, d'autant plus à craindre
qu'il ne se donne pas à voir au regard désarmé : la
sensibilité de technicien, quel que soit le domaine
d'activité considéré, dans une économie de plus en plus
tertiaire (relation, gestion, formation, organisation,
animation, médiation, communication, documentation,
administration, information, encadrement, etc.). Cette
sensibilité, cet "habitus" de technicien - souvent cadre
moyen - produit des effets idéologiques remarquables
sans recours à la propagande bavarde habituelle. En
société ou au travail, il lui suffit d'être ce
technicien compétent pour qui la technique se joue tout
entière dans l'ordre du savoir, de la rationalité
logique, de l'efficience instrumentale, de la cohérence
décrétée par avance. Il s'imagine donc souvent à
distance maîtrisée de l'embrouille idéologique et de la
subjectivité des autres avec qui il vit ou travaille...
Tout ce qui permet à ce technicien de s'exempter des
questions relatives au sens de ce qu'il fait, à la
finalité qu'il sert, à la négativité de sa pratique.
Lorsqu'il
s'engagera dans la critique de son activité, il évitera
de sortir du champ étroitement clos de la critique
supportable par lui, sous le regard des autres et de sa
hiérarchie... Ce qui l'amènera sans doute, tôt ou tard à
s'insupporter lui-même ou à ne plus supporter ses
proches. Il se croit libre et objectif, alors que sa
subjectivité perce sous la technicité de son geste
exactement là où il cesse de s'interroger quant à la
place qui est la sienne dans l'organisation et à la
fonction qu'il est tenu d'y assurer... Critique
non-critiquante... Expert en administration technique et
fonctionnelle d'un quotidien où la parole est conçue
uniquement comme "outil de communication", il offrira
rarement l'occasion d'apprendre auprès de lui un art de
vivre et de penser où tout ne serait pas confondu,
notamment ces notions d'outil, de technique, de méthode,
de méthodologie...
Sur
fond de ces confusions qu'aucune "critique
non-critiquante" ne trouble, l'arnaque ne consiste-elle
pas souvent à annoncer solennellement de la
"méthodologie" là où n'est exigé qu'alignement obéissant
et silencieux sur telle ou telle procédure méritant tout
au plus l'appellation de méthode ? Ou encore à nommer
"éthique" ce qui n'appartient qu'à l'ordre de la
déontologie ou de la morale ?
«
Voici un totalitarisme de l'inconsistance où tout
n'est pas seulement l'équivalent de tout mais où rien
n'existe s'il n'est l'équivalent de tout et
réciproquement. » Annie Lebrun
"L'ENTRAÎNEMENT
MENTAL" : PLUS QU'UNE MÉTHODE,
UNE CULTURE MÉTHODOLOGIQUE...
Comme
l'indique son étymologie, la notion de méthode est à
rapporter à celle de voie, de chemin (odos). D'où l'idée
de méthode comme cheminement, comme procédé, comme
ordonnancement d'opérations à suivre dans un ordre
précis pour atteindre l'objectif recherché.
Ici,
en EM, il s'agira d'être un peu plus méthodologique que
toujours plus méthodique. Le "logos" terminal de
méthodo-logie indique en clair que la parole (logos) a à
se saisir de son objet spécifique - la méthode - et non
le contraire. Il nous revient donc, sauf à continuer de
confondre méthode et méthodologie, d'engager le débat à
propos de ces multiples procédures, protocoles ou
méthodes qui nous sont imposés dans le quotidien, de
manière unilatérale. Encore faut-il, pour y parvenir,
cultiver cette intelligence méthodologique permettant de
relever le défi du passage à la parole, à propos de ces
méthodes dont la fonction est justement de corseter la
parole et d'en neutraliser l'errance.
Partant
du fait d'une société de plus en plus divisée où les uns
gèrent, organisent, statuent et prescrivent pour une
majorité d'autres, exécutants n'ayant guère qu'à
s'exécuter avec méthode, nous remarquons que
l'ancienneté de l'EM ne lui a rien enlevé de son
impertinence et de son actualité. Et lorsqu'il permet de
reconnaître l'abstraction comme activité concrète, de
relier expertise et expérience, de distinguer
l'argumentation de l'élucidation, d'explorer
l'entre-deux de la pratique et de la théorie, de pointer
les analyses qui n'en sont pas, de repérer les croyances
réductibles, d'encourager l'incroyance salutaire, oui,
en effet, l'EM sort du champ des procédures, des
méthodes et surtout des méthodes pédagogiques...
Reprécisons
donc ici l'ENTRAÎNEMENT MENTAL comme exercice répété de
la pensée cultivant, jour après jour, le réflexe du
repérage critique des modes de raisonnement que nous
pratiquons, du formalisme intellectuel dans lequel nous
nous enfermons, des connaissances que nous sollicitons
et des valeurs que nous servons ainsi. Ceci bien
évidemment en nous inspirant de ce minimum vital de
culture méthodologique générale, hérité de Dumazedier et
référé à l'utopie de l'éducation populaire.
Nous
nous paierons de ces efforts par le plaisir de
réhabiliter le "penser contre" - la pensée dite négative
- dans une société dépressive où chacun est sommé d'être
toujours positif et constructif. Jusqu'à pouvoir nous
gratifier d'une créativité intellectuelle perçant à jour
les montages dogmatiques dont se blindent les agélastes
dans leur fonction de police de la pensée (du grec
"agelastos : celui qui n'a pas le sens de l'humour, qui
ne rit pas, le triste, le funeste).
« On voit à l'horizon des armées d'agélastes qui
nous guettent...» Milan Kundera
A
QUI ET A QUOI RÉFÉRER "L'ENTRAÎNEMENT MENTAL" ?
Cet
EM est à référer d'abord à son inventeur déjà nommé, Joffre
Dumazedier, sociologue de l'éducation des
adultes et président-fondateur du mouvement "Peuple et
Culture" naguère innovant. En 1942, il nomma
ENTRAINEMENT MENTAL l'ensemble des "exercices mentaux"
qu'il préconisait alors - observation,
documentation, représentation, mise en relation,
etc. - comme exercice de la pensée, en appui
sur l'expérience de la prise de responsabilités et
marqué d'une rationalité proche de celle qui caractérise
la démarche scientifique. C'est avec Benigno
Cacérès, son premier compagnon, que
Dumazedier expérimenta l'EM jusqu'à pouvoir le définir
dans sa singularité novatrice.
Début
1946, Paul Lengrand, philosophe,
s'inspirant de Hegel, inscrivit la "dialectique" au
programme de cet EM naissant. Dans les années 60, Jacques
Barbichon imprima à l'EM une orientation
déterminée par la montée en puissance des "techniques
d'expression" et de "conduite des réunions" portées
elles-mêmes par le déploiement accéléré de la
psychosociologie en France. Puis Jean-François
Chosson engagea début des années 70 une mise
en forme de l'EM portant l'empreinte des méthodes de
prise décision, de brainstorming, de direction
participative par objectif, reprises du management
moderniste - à l'époque - des entreprises et des
administrations.
Les
années passèrent, la routine s'installa, le dogmatisme
marxiste s'en mêla parfois. Début des années 90, le
développement des "sciences cognitives" redonna un peu
d'espoir à ceux qui voulaient moderniser l'EM, en toute
neutralité neuronale et scientifique. Tandis que
d'autres rêvaient de mettre en cage informatique
l'oiseau EM rebelle à sa domestication au profit des
ménages et du manège des managers.
Ces
prosélytes des "nouvelles technologies" oubliaient ceci
: que l'EM, véritable tradition orale, ne se
transmettait et ne se développait que dans la rencontre
chaude, vibrante, des passeurs, des praticiens et des
amateurs d'EM. Pendant ce temps, les imprimantes et
autres scanners papelardisaient à qui mieux mieux pour
supprimer le papier, disaient-ils, et sans doute pour en
finir avec cet échange symbolique qu'est la parole nous
questionnant au moins autant que nous la questionnons.
Justement cette parole qui fait tiers entre les femmes
et les hommes résistant à l'obligation de se fondre en
une société-marché de cyclopes et de ventriloques, de
platitudes et d'idées toutes faites, dans un contexte de
désymbolisation généralisée ou le diabolique prend de
plus en plus le pas sur le symbolique.
Les
appareils d'éducation populaire, quant à eux,
devenaient, pour l'essentiel, "partenaires"
sous-traitants de leurs tutelles institutionnelles et
choisissaient la religion du "projet", contre un EM
impropre à servir une quête obsessionnelle de
financements et d'agréments les plus divers...
Quelques-uns
n'ont pas attendu cette implosion. Ils ont pris le
relais dès le début des années 80, en remettant l'EM sur
le chantier, avec ses intuitions et valeurs premières. Charlotte
Herfray et Pierre Davreux,
notamment. C'est ainsi qu'ils ont rompu avec les mœurs
et les modes du moment qui n'en finissaient pas de vider
l'EM de sa substance, prenant sur eux de poursuivre
l'aventure EM, autrement qu'en se laissant porter par
l'air du temps et l'inculture dont celui-ci fait signe.
Il
ne s'agissait pas pour eux de réenchanter le petit monde
de l'ENTRAÎNEMENT MENTAL, mais bien de remettre ce
dernier sur le métier afin qu'il retrouve son souffle
initial, s'éclaire de quelques décennies d'expérience
tirée de son histoire et s'inscrive dans un présent où
le pire et le meilleur font structure. Tous n'ont pas
suivi, préférant souvent un EM à leur image : édulcoré,
le moins confrontant possible, le plus paresseusement
moral. Avec l'aide de ceux qui se réjouissaient d'un EM
ayant retrouvé ses valeurs de résistance et
d'émancipation, celui-ci a enfin été assuré de
référentiels éthiques et théoriques identifiables par
chacun - profanes ou initiés - comme cela ne s'était
jamais fait auparavant.
L'EM
a été désarrimé du pédagogisme caractérisant les
programmes conçus à grands coups de "demande sociale" et
de "besoins à satisfaire" tels que définis par les
idéologues du marché de la "formation continue". Puis
recomplexifié sans complexe, il a échappé à l'ingénierie
managériale et pédagogique dont la soif de méthodes est
aussi légendaire... que légendaire.
Charlotte
Herfray et Pierre Davreux n'abordent plus, aujourd'hui,
la question de l'EM sans la resituer dans le cadre de
cette autre, incontournable pour quelques-uns : "QUELLE
ÉDUCATION APRÈS AUSCHWITZ ? ", question qui n'a pas
encore été relevée, frontalement, en ce début du XXIème
siècle, alors que le "devoir de mémoire" n'en finit pas
de moraliser en toute impuissance.
Ils
continuent de travailler à ouvrir l'EM aux principales
"sciences de l'homme" faisant leur place aux femmes et
aux hommes de chair, d'os et de parole, sans les réduire
à l'une ou l'autre dimension de leur identité complexe :
sujet désirant, travailleur et citoyen. Enfin ils
participent à l'animation du champ de l'EM irrigué d'un
réseau souple d'ateliers, de personnes et
d'associations.
De
l'entre-deux langues qui est le sien - allemand,
français - Charlotte Herfray,
travaillera à fonder le retour à l'EM sur la prise en
compte du langage et de la parole, la critique des
idéologies et une exigence épistémologique décisive.
Elle éclairera l'EM d'une théorie de l'acte saisi dans
sa dimension fonctionnelle et dans sa dimension
culturelle.
Tandis
que Pierre Davreux, initié à
"l'alphabétisation-conscientisation" du brésilien Paulo
Freire puis formé à la sociologie de l'autogestion par
Yvon Bourdet, redessinera l'EM en triangle :
entraînement au raisonnement logique, à la pensée
dialectique et au questionnement éthique. Il
"périodisera" l'histoire de l'EM et remettra en chantier
les notions centrales bien qu'apparemment banales de
"pro–blème" et de "pro–jet" en établissant leur relation
serrée.
Tous
deux s'autoriseront de leur expérience psychanalytique
pour éclairer l'ENTRAINEMENT MENTAL de l'apport freudien
et des effets de déprise que celui-ci produit dans
l'analyse et la connaissance d'une société divisée, de
sujets eux-mêmes psychiquement divisés...
QUI
"L'ENTRAÎNEMENT MENTAL" PEUT-IL INTÉRESSER AUJOURD'HUI
?
Celles
et ceux qui pressentent que l'obligation sociale de
réfléchir selon des techniques et des méthodes non
débattues, encore et toujours pour le bien d'autrui,
recouvre souvent une redoutable interdiction de
penser...
Autrement
dit, celles et ceux, gradés ou non, qui ne sont pas
insensibles au vieux proverbe juif selon lequel « quand
l'homme pense, Dieu rit ».
Ou
plus directement encore, celles et ceux qui ne cèdent
pas sur leur désir singulier de vivre leur pensée et de
penser leur vie, alors que les temps sont à
l'insignifiance, au relativisme et, par voie de
conséquence, au nihilisme se généralisant. Ils ont bien
raison d'être sur leurs gardes, car ils entrevoient dans
l'ombre du "tout se vaut" relativiste - souvent
multiculturellement correct - prospérer un périlleux
"rien ne vaut" nihiliste. Ceux-là, heureusement,
n'auront pas trop tendance à confondre liberté,
autonomie et indépendance qui ne se valent pas.
Peut-être trouveront-ils du côté de l'EM un peu de ce
réconfort qui aide à vivre dès lors qu'est accepté le
principe de toujours référer son désir à une limite pour
que soit possible la liberté individuelle dans une
société désormais capable d'opposer la Loi à la jungle
et à l'anomie qui l'ensauvage.
« La vie est celle de chacun. Si bien que si on veut
philosopher sérieusement sur la vie, c'est à condition
de le faire de l'intérieur, depuis un au-dedans
singulier, à condition de parler de soi-même. »
José Ortega y Gasset
COMMENT
OBTENIR UNE DOCUMENTATION SUR "L'EM" ?
Nous
voici aux prises avec une question qui va de soi, mais
sans que la réponse administrative espérée soit
praticable. Et ce, pour plusieurs raisons.
D'abord
parce que l'EM ne s'est jamais fait connaître
sérieusement par la documentation écrite - du reste
assez prolixe - qui s'en saisit comme objet de
témoignage ou de démonstration. Ces écrits font en
général l'impasse sur les aspects contextuels et
historiques d'un EM transmis par voie orale depuis ses
débuts. Sans doute parce que cette littérature est
souvent constituée d'écrits de circonstance :
compte-rendu, rapport d'activité, dossier requis par les
financeurs, mémoire de fin d'études, programmes
d'activités, réponses complaisantes à la demande,
rationalisation après coup d'expériences pas toujours
présentables, etc. Quand ces documents ne sont pas le
fait de personnes n'ayant eu elles-mêmes qu'un accès
livresque à l'EM. Que peuvent-elles entendre d'un EM
qu'elles veulent précipiter dans l'écriture sans aller
elles-mêmes s'y mettre à l'épreuve, avant d'écrire ?
Ensuite
parce que faire savoir l'EM par l'écriture, sans que les
lecteurs puissent connaître les choix des auteurs dans
l'éventail des déclinaisons possibles de l'EM, revient à
les encourager dans une recherche aveugle, sans
intelligence réelle de l'origine et de la valeur des
documents abordés. Ainsi ces lecteurs se fixent sur
l'une ou l'autre représentation de l'EM induites à leur
insu par les "témoignages" de ceux qui ont rédigé la
documentation fréquentée. Ceci n'est pas perdu pour tout
le monde. Notamment pour les démagogues qui encouragent
à croire en la possibilité d'assurer seul ou entre soi
la "production de sens" et la "construction des
savoirs", comme dit la langue de bois, lorsque l'on
utilise correctement (?) la navigation documentaire,
muséale et mentale assistée par ordinateur : la NAO !
Pour
vous convaincre de l'impossibilité de vous offrir la
documentation la plus riche possible, nous vous
proposons de rechercher l'EM sur internet. Vous y
trouverez un nombre invraisemblable de références se
neutralisant les unes les autres. Tous les domaines de
la vie réelle et imaginaire y sont présents : de
l'alimentation saine au sport de haut niveau, en passant
par la méditation occulte, la formation scolaire, les
thérapies parallèles, l'éducation populaire, la musique,
la gestion, la pédagogie, le tennis, la lutte
anti-tabac, la résilience, la gestion du stress, le
triathlon, la PNL, la création artistique,
l'auto-formation permanente, la sophrologie, les arts
martiaux... Rien n'y manque, pour faire votre bonheur.
Enfin,
nous ne disposons pas d'un centre documentaire, avec
salariés ou permanents. Nos activités EM sont en
auto-financement. Pas de cadeaux, pas de dons, pas de
sponsors, pas d'héritages, autre que culturels... Mais
nous représentons une force documentaire intéressante,
toute en réseau et mouvement, fruit de décennies de
travail, de rencontres, de francophonie et de mémoire,
dont aucune écriture n'a cerné la richesse jusqu'à
présent.
Afin
de réduire les risques d'une approche de l'EM trop
lacunaire ou trop instrumentalisée, nous vous avons
proposé quelques éléments d'information et d'histoire
jamais exposés, parce qu'occultés ici, gommés là ou
ignorés plus loin. Assez pour que vous ayez la
gourmandise de poursuivre avec nous ou, au contraire,
l'effet répulsif aidant, pour que vous puissiez explorer
d'autres horizons, la conscience tranquille et le rêve
d'un éclairage différent en bandoulière…
« C'est le bonheur de rêver de choses dont nous ne
voulons pas vraiment. » Slavoj Zizek
OÙ
S'INFORMER DES AVENTURES ACTUELLES DE "L'EM" ?
L'ENTRAINEMENT
MENTAL, tel que présenté ici, est connu d'un réseau
souple de personnes, d'ateliers, de collectifs et
d'associations. Certains ont assuré une partie de leur
expérience hors hexagone, dans d’autres environnements
institutionnels et culturels : Belgique, Québec,
Espagne. Plusieurs d’entre nous ont eu la chance de
travailler et de débattre d’EM, à un moment ou à un
autre, avec Joffre Dumazedier et chacun des principaux
passeurs de l’EM qui en ont marqué l’histoire depuis sa
création ; ce qui est assez exceptionnel. Le fil
intergénérationnel n'ayant jamais été rompu, notre
connaissance de l'EM est aussi diachronique que
synchronique ; ce qui assez rare, dans le petit monde de
l’EM.
Acteurs EM engagés dans la mêlée et non "techniciens"
persuadés de leur virginité idéologique, nous nous
sommes autorisés ici à une présentation non stérilisée
de l'EM et de son histoire. Nous nous intéressons
particulièrement à la mise en évidence de la
problématique de l'EM afin de pouvoir traiter, un peu en
connaissance de causes, la question "Qu'est-il bon de
faire en EM et avec l'EM ?", sans en rajouter à
l'imagerie d'Epinal habituelle des catalogues de
formations et autres nomenclatures académiques. Si vous
le désirez, vous pouvez accéder à ces expériences et
ressources en vous rapprochant de notre réseau.
Sont à votre disposition, par ailleurs, les informations
en notre possession relatives à l'EM et aux activités
qui s'en inspirent : rencontres, expériences, stages,
ateliers, séminaires, initiations, conférences-débat,
etc.
Contacts
possibles en France, en Belgique et au Québec :
Bordeaux,
Brive-la-Gaillarde, Bruxelles, Clermont-Ferrand, Liège,
Lille, Montréal, Namur, Nantes, Pau, Québec, Roubaix,
Strasbourg, Talence, Thionville...
Trois
associations se tiennent dès à présent à votre
disposition pour vous aider à vous y retrouver :
RHIZOMES :
courriel
Atelier La Talvère - Pierre Davreux: courriel
ROULETAPLUME : courriel
«
Le monde n’est qu’une branloire pérenne »
Montaigne
Voir
aussi : Eduquer après Auschwitz
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